Cameroun: comment relancer la locomotive économique ?

Yaoundé veut lever des fonds sur les marchés financiers internationaux – une première – et échafaude déjà les grands projets qui créeront un « choc de croissance ». Reste à convaincre les investisseurs internationaux…

« La machine ronronne ! De nombreux projets structurants ont du mal à aboutir et de nombreuses entreprises publiques sont en difficulté. Pourtant, le Cameroun a tout pour réussir », se désole le patron d’un grand groupe, fin connaisseur de ce pays. Il a beau être qualifié de locomotive de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) et disposer d’un cadre macroéconomique solide lui permettant d’absorber le choc sécuritaire que constituent les récurrentes attaques de Boko Haram dans le septentrion, force est de constater que le Cameroun progresse difficilement. Le taux de chômage avoisine les 30 % en milieu urbain. Et, s’il affiche un taux de croissance du PIB de 4 % ces dernières années, le pays a suffisamment de potentiel pour dépasser les 10 %.

S’il affiche un taux de croissance du PIB de 4 % ces dernières années, le Cameroun a suffisamment de potentiel pour dépasser les 10 %

Loin de réaliser cette performance, le Cameroun n’a pas non plus pu atteindre la moyenne de 7 % de croissance fixée il y a cinq ans lors du lancement du plan Vision 2035, qui doit permettre au pays d’atteindre l’émergence d’ici à vingt ans, et de son premier guide décennal, le Document de stratégie pour la croissance et l’emploi (DSCE). Et la chute depuis le mois de juin du cours du pétrole, qui représente près de 30 % des recettes de l’État, ainsi que la dégringolade du prix du fer, qui freine le démarrage de la mine de Mbalam (deuxième plus grand gisement de ce minerai en Afrique), n’arrangent pas les choses.

Choc de croissance

C’est dans ce contexte que le gouvernement a annoncé mi-février son intention de se rendre sur les marchés financiers internationaux (une première pour le pays) avant la fin du trimestre, pour lever 1,3 milliard d’euros destinés à financer partiellement un plan d’urgence pour l’accélération de la croissance économique.

Via ce programme de 1 000 milliards de F CFA (1,5 milliard d’euros), le gouvernement affirme vouloir créer « un choc de la croissance » sur trois ans avec la réhabilitation de plateaux techniques, de nombreuses constructions (hôpitaux, un millier de logements sociaux, routes secondaires, postes de gendarmerie, postes-frontières, 3 000 forages en zone rurale…), mais aussi le développement des réseaux d’eau dans les villes et de l’éclairage public à Yaoundé et Douala, ou encore la distribution de semences aux agriculteurs. Mais saura-t-il convaincre les investisseurs internationaux ?

« Les atouts du Cameroun sont indéniables, il dispose d’une base économique plutôt diversifiée – agriculture, hydrocarbures et mines – mais les autorités doivent être plus claires sur la direction qu’elles veulent donner à l’économie. Il faut expliciter davantage les étapes à franchir pour atteindre l’objectif d’émergence de 2035, avec quelles réformes et quels moyens face aux problèmes les plus connus », juge Bakary Traoré, analyste économique au bureau Afrique de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Un point de vue partagé par Protais Ayangma, le président du regroupement patronal Entreprises du Cameroun (Ecam) : « il faut améliorer la gouvernance en termes de prévisibilité, de visibilité et de reddition des comptes. »

Mal ficelé

La tournure prise récemment par deux projets structurants illustre parfaitement ces problèmes de gouvernance. Longtemps classée parmi les chantiers devant conduire à l’émergence du pays,l’exploitation du gisement de Nkamouna (cobalt, nickel et manganèse) – avec un potentiel de minerais de 52 millions de tonnes – rime aujourd’hui avec abandon. Le partenariat conclu avec Geovic, une junior américaine, a été mal ficelé. Incapable de lever les fonds nécessaires, Geovic Cameroun, la filiale créée par les deux parties pour la réalisation du projet, a cédé sa licence au chinois JXTC. Mais alors que le Cameroun avait déjà versé environ 50 millions d’euros à Geovic, « aucune mesure n’a été prise pour sécuriser le produit de la revente au profit du pays, ni aucune mesure conservatoire sur les droits miniers de Geovic à l’étranger, acquis grâce aux fonds publics du Cameroun », soutient Eugène Nyambal.

L’économiste camerounais accuse par ailleurs le Fonds monétaire international (FMI) d’avoir soutenu l’entreprise minière, récemment exclue de la Bourse de Toronto. D’après sa propre estimation, le préjudice pour l’économie nationale avoisinerait 90 millions d’euros.

Cette affaire en rappelle une autre, celle de la construction d’un complexe agro-industriel sucrier entre Batouri et Bertoua, dans l’est du pays, par le consortium indo-camerounais Justin Sugar Mills (JSM). Ce dernier s’était engagé, selon un protocole d’accord conclu avec l’État en 2012, à ériger une sucrerie d’une capacité de 60 000 tonnes dans l’est du pays pour 60 milliards de F CFA. Mais JSM n’était qu’une coquille vide. Un audit du cabinet international EY a montré que ce partenaire présentait « une situation financière incertaine ».

Depuis, un appel d’offres en bonne et due forme a été lancé pour trouver un nouveau partenaire. Et le leader marocain du sucre, Cosumar, semble en bonne position pour remporter le projet. Mais le mal a déjà été fait : JSM a encaissé plus de 562 millions de F CFA auprès du Fonds spécial d’équipement et d’intervention intercommunal (Feicom, la banque des communes), au titre d’un premier versement pour une prise de participation dans son capital de onze municipalités concernées par le projet.

Profitant de la faiblesse de la gouvernance, des investisseurs étrangers très peu fiables s’associent ainsi à des nationaux qui ne sont guère plus crédibles mais qui bénéficient d’appuis dans le sérail politique afin de s’accaparer les projets. Avec pour objectif de capturer les fonds mis à disposition ou bien de signer un protocole d’accord avec le gouvernement, qui leur permet de lever des fonds à l’international et de les utiliser à d’autres fins.

Dans le cas du projet sucrier, le directeur de JSM, Dieudonné Mirabeau Dong Thry Dong, a notamment usé de ses relations avec Janvier Mongui Sossomba, président de la chambre d’agriculture, membre influent du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, parti au pouvoir) dans la région de l’Est – où il est maire de Dimako.

« Dénaturé »

Face à ces défaillances, le gouvernement doit prendre des mesures fortes, notamment pour améliorer le climat des affaires. En un an, le Cameroun a reculé de dix places dans le classement « Doing Business » (158e en 2015, contre 148e en 2014). Résultat : « Les PME, qui constituent l’essentiel du tissu économique et industriel du pays, ne sont pas compétitives. Elles ont de véritables difficultés pour s’approvisionner et écouler leurs produits », explique Bakary Traoré, de l’OCDE. D’après l’économiste, ces PME ne peuvent pas, dans ces conditions, et alors que les prix des matières premières flanchent, porter la croissance économique.

Les remèdes sont connus, il ne reste qu’à les appliquer. En commençant par la mise en place d’un appareil judiciaire fiable. « La sécurité des contrats est indispensable pour rassurer les investisseurs, soutient notre diplomate. Les banquiers se montrent frileux en raison de décisions de justice pour le moins partiales. » La question de l’énergie, indispensable au bon fonctionnement de ces entreprises, pose également problème. Certes, de nombreux projets de production d’électricité sont menés, mais, pour l’instant, l’offre reste largement insuffisante par rapport aux besoins.

Enfin, si une loi sur l’investissement, généreuse en incitations, a été adoptée en avril et commence à produire ses effets, pour Protais Ayangma, cela ne suffit pas : « C’est la structuration de notre économie qui fera venir les uns et les autres. »

Source : © Jeune Afrique

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